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Keywords
tessin, Suisse, jeu video suisse, portage, Scene demo, Acorn Archimedes, Baerlocher, France, Poizone, Aldebaran, Arc Angels, Visiware, Neko Entertainment

Paolo Baerlocher, du Tessin à Paris

la demoscene comme moteur du jeu vidéo

Pierre-Yves Hurel (University of Lausanne) and Adrian Demleitner

Editor’s Note

An English translation of this interview can be found in the Translations section of ROMchip, Volume 7, No. 2.

Introduction

Paolo Baerlocher a participé à la création de nombreux jeux vidéo en Suisse et en France et jusqu'ici, son histoire n'avait pas encore été documentée. Cette interview permet d’étudier au moins trois enjeux primordiaux de la création vidéoludique des années 1980 jusqu'à nos jours. D'abord, le rôle de la mobilité culturelle et géographique – en particulier lorsque l'on est issu d'une région marginalisée de Suisse, à une époque où il n'existe aucune réelle scène de développement locale. Ensuite, l'expérience décrite dans cet entretien permet d'éclairer sous un nouveau jour les liens entre participation à la scène démo et la création de jeux vidéo. Baerlocher considère les démos – des clips vidéo et sonores faisant la démonstration d'une grande maîtrise technique – comme des préalables au jeu vidéo, comparables à ce que proposeront plus tard les game engines. Enfin, cet entretien documente l'importante activité du portage de jeux vidéo d'une plateforme à une autre. Cette activité intéresse particulièrement Baerlocher, qui a développé un goût spécifique pour la machinerie vidéoludique et l'exploitation du potentiel de chaque machine.

Du Tessin à Paris : une histoire de mobilité

Paolo Baerlocher est né à Locarno en 1971 et a grandi dans le village de Cugnasco, dans la région italophone du Tessin, souvent décrite comme la « Floride de la Suisse ». Son père, originaire de Suisse, travaillait dans la logistique des transports et sa mère, Française, était opératrice de saisie des réservations chez Air France, puis mère au foyer. Il considère cette situation familiale comme faisant partie de la classe moyenne. Paolo Baerlocher a très tôt été influencé – et parfois tiraillé – par des dynamiques culturelles issues de Suisse, de France et d’Angleterre. Le Tessin était à l’époque relativement isolée du reste du pays par les Alpes et par la barrière linguistique. La connexion de Baerlocher avec la culture francophone lui a ouvert l’accès à la Suisse romande, y compris à l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) et à la demoscène francophone, ce qui a donné lieu à une série d’événements fortuits mais décisifs dans son parcours de développeur de jeux vidéo. Au cours de cet entretien, Paolo Baerlocher revient chronologiquement sur sa trajectoire.

Paolo Baerlocher évoque d'abord sa découverte de la micro-informatique et explique comment il est passé de l'activité de jouer à des jeux vidéo à celle d'en programmer. Il remet aussi régulièrement sa propre expérience dans un contexte géographique, culturel et temporel : ainsi, il explique que cela n'avait rien d'« évident » à choisir de faire carrière dans le jeu vidéo, depuis la région italophone Suisse dans les années 1980.

C'est pourtant depuis cette région qu'il va rejoindre la demoscene dédiée aux Acorn Archimedes – des micro-ordinateurs britanniques de la fin des années 1980, développés par Acorn Computers. Cette scène est modeste mais active, et Baerlocher intègre le groupe de demomakers Arc Angels. Il explique alors comment la scène démo lui a notamment permis d'entrer en contact avec des personnes compétentes et facilitant la création de jeux vidéo. Toujours au Tessin, il développe, avec Marc Andreoli (graphiste des Arc Angels, basé à Bâle), son premier jeu Poizone (1991) – édité par la société française Eterna. Ce jeu intègre une dimension écologique, ce qui n’est pas commun pour un jeu vidéo suisse de l'époque.

Les deux auteurs se retrouvent à Lausanne pendant leurs études respectives à l’EPFL (Paolo Baerlocher en informatique, Marc Andreoli en architecture). Rejoint par Fred Schaerlig (autre membre des Arc Angels, originaire de Genève) qui prend le rôle de manager, ils développent alors Aldebaran (1993) – publié par Evolution Trading AG (ce qui fait de cette filiale suisse d’une entreprise allemande un des très rares éditeurs de jeux vidéo en Suisse des années 1990). Paolo Baerlocher explique alors aussi comment ce jeu vidéo a été rendu possible par la réalisation préalable de démos, qu'il peut réintégrer dans son code comme autant de « routines ». De ce point de vue, cet entretien s'éloigne passablement de la description de la réalisation de démo comme étant un art particulièrement indépendant du jeu vidéo.

Une fois obtenu son diplôme d’ingénieur informaticien à l’EPFL, il part à Paris et commence à travailler avec le studio français Visiware en 1995, un studio de jeu vidéo fondé par Laurent Weil, ancien patron de Loriciel. Après avoir travaillé un an chez Visiware, il rentre en Suisse pour réaliser une thèse de doctorat à l'EPFL. Il va ensuite retourner à Paris et rejoindre Neko Entertainment, fondée par trois associées, dont deux anciens collègues de Visiware (Laurent Lichnewsky et Sotheara Khem) et y travailler de 2001 à 2016. Particulièrement intéressé par les questions techniques et le contrôle fin des ordinateurs et consoles, il s'y spécialise dans le portage de jeux vidéo d'une plateforme à une autre. Depuis lors, il a principalement travaillé pour Pastagames – toujours dans le portage de jeux vidéo. Le développeur a donc travaillé sur plusieurs dizaines de jeux vidéo au total.1 La trajectoire de Paolo Baerlocher témoigne du manque d'infrastructures en Suisse pour espérer pouvoir y faire carrière dans le jeu vidéo.2 En 2023, il publie un portage sur PC du premier jeu qu'il avait réalisé sur Archimedes, Poizone.3 Marc Andreoli, évoqué plus tôt, s'est quant à lui expatrié aux Etats-Unis et son entreprise GameResort LLC, fondée en 2008, a notamment réalisé le jeu à succès Stupid Zombies (2019), sur smartphone.4 Si l'on souhaite chercher un héritage au jeu vidéo suisse des années 1990, il faut donc aussi regarder par-delà les frontières.

A propos de l'entretien : précisions méthodologiques

Cet entretien a été réalisé dans le cadre du projet Confoederatio Ludens (2023-2027), qui se concentre l'histoire du jeu vidéo en Suisse.5 Une précédente interview avec un autre développeur suisse, Daniel Roux, et réalisé dans le cadre de ce même projet, a été publiée au sein de RomChip.6 Nous avons réalisé cet entretien à deux car le profil de Paolo Baerlocher était à la croisée de nos intérêts pour les trajectoires et motivations des développeurs de jeux vidéo en Suisse francophone (sujet du postdoctorat de Pierre-Yves Hurel), pour la programmation comme acte d'énonciation (sujet du doctorat d'Adrian Demleitner), et enfin pour le modalités d'hybridation entre la création vidéoludique et la demoscene (sujet d'un article scientifique en commun, à paraître).

L'entretien a été réalisé sur Zoom le 11 mars 2024, en Français, la langue maternelle de Paolo Baerlocher et de Pierre-Yves Hurel – la langue native de Adrian Demleitner étant le suisse allemand. Paolo Baerlocher a réalisé cet entretien depuis son domicile, tandis que Pierre-Yves Hurel et Adrian Demleitner étaient dans un bureau de l'Université de Lausanne. Des échanges complémentaires ont eu lieu par mail ensuite, notamment pour rédiger la présente introduction.

La retranscription a été effectuée par Johan Cuda, alors étudiant engagé au sein du projet Confoederatio Ludens. Ce dernier, que nous remercions chaleureusement, a utilisé l'assistance de WhisperAI, tournant en local sur les serveurs de l'Université de Lausanne – il a par ailleurs développé et publié un outil pour faciliter son travail de retranscription7. La traduction en anglais a été assistée par l'utilisation de Supertext, un outil de traduction suisse utilisant l'intelligence artificielle.8

Les versions finales (en anglais comme en français), dont nous nous portons garants, ont ensuite été éditées. Nous avons conservé la chronologie de l'interview (aucun passage n'a été déplacé), mais avons supprimé une série d'éléments pour faciliter sa consultation, dont : les acquiescements en réponses à Paolo Baerlocher, les éléments s'éloignant du sujet de l'entretien, des données personnelles de Paolo Baerlocher, des passages inaudibles, les hésitations et enfin des répétitions. La présence de crochets « [...] » au sein d'une phrase marque la suppression d'un court passage en vue d’en fluidifier la lecture. Lorsque ces crochets sont présents seuls et en début de ligne, ils indiquent la suppression d'un passage plus long en vue de respecter la politique éditoriale de la revue en termes de longueur. La transcription complète de l’entretien peut être demandée aux auteurs.

Entretien le 11 mars 2024 (version originale française)

Pierre-Yves Hurel PYH : [...] Quels sont vos premiers pas, vos premiers contacts avec la micro-informatique ?

Paolo Baerolocher PB : [...] C'était déjà il y a plus de trente ans maintenant. [...] C'est vrai qu'il y a des souvenirs qui, des fois, sont un peu difficiles, qui reviennent difficilement. Mais bon, par contre, mes premiers pas dans la micro-informatique, je les ai quand même clairement en tête, parce que c'est des choses qu'on n'oublie pas. D'ailleurs, j'ai gardé aussi en souvenir mon premier micro-ordinateur qui était le ZX Spectrum, que vous connaissez sûrement. Donc, concrètement, c'est à travers un ami de mon père, qui aimait bien bidouiller un peu toutes ces choses-là. Une fois, je l'ai vu dans son bureau, en train de bidouiller des choses sur cette machine… et il était en train de faire un petit jeu vidéo. Ça m'a donné envie de m'y mettre aussi. Et juste en bas de chez lui, il y avait un magasin qui vendait ces machines. A l'époque, on avait déjà entendu parler du mot « ordinateur », mais moi j'avais douze ou treize ans, je ne savais pas exactement ce que c'était. C'était très nouveau à l'époque, et puis il y avait un petit côté magique. On n'était pas très nombreux à l'école à avoir ces machines, mais il y avait quand même déjà quelques personnes. Il y avait ceux qui avaient le Commodore 64 ou le VIC-20, donc c’étaient les machines Commodore. Et puis il y avait ceux qui, comme moi, avaient le Spectrum, et qui étaient moins nombreux. Il y a avait déjà une petite guerre de machines à l'époque. C'était toujours à trouver des arguments à qui avait la meilleure machine. Pour moi, c'était le Spectrum, pour les autres, c'était le Commodore 64. On se faisait aussi des petites [...] réunions, une fois chez l'un, une fois chez l'autre, pour voir la machine de l'autre et de voir ce qu'on pouvait faire avec. Honnêtement, au début, c'était surtout pour jouer à des jeux vidéo, ce n'était pas de la programmation. Sur Spectrum, je me souviens qu'il y avait des jeux qui me sont restés en tête, par exemple il y avait un jeu de simulateur de vol. [...] Il y avait quand même déjà des jeux à cette époque-là qui arrivaient à donner un sens d'immersion, même juste avec quelques pixels animés. Donc c'est vrai que le Spectrum, pour moi, c'était autour des années 84, je dirais. J'avais douze ou treize ans. Et puis après, assez rapidement, à force de jouer, il m'est venu l'envie de développer aussi des jeux. [...] Après, je suis rentré au lycée, j'ai eu des machines aussi plus puissantes, il y avait des cours d'informatique. Mais c'est vrai que de là à en faire un métier dans le jeu vidéo, ce n'était pas gagné. Quand je disais que je voulais faire du jeu vidéo… Un prof de maths, je me souviens, m'a dit, « tu veux foutre en l'air ta vie, en fait ». C'était vraiment... C'était comme ça, quoi, parce que ça n'existait pas, en fait. Malgré tout, j'ai continué. J'ai quand même pu faire des études d'informatique. L'époque a aussi évolué, c'est devenu plus courant. Donc après, j'ai pu en faire mon métier.

PYH : Donc dès l’adolescence vous concevez ça comme « J'ai envie d'en faire mon métier » ? Peut-être qu'à l'adolescence, ça se traduit autrement, c'est-à-dire « j'ai envie de faire que ça » ou des choses comme ça ?

PB : Oui, très rapidement. Je ne peux plus dire à quel âge, mais je pense vers quatorze ou quinze ans. Un peu naïvement, je me suis dit « j'ai envie de faire ça dans ma vie ». C'était un peu étonnant. Il faut dire que je passais tout mon temps là-dessus. Mes parents étaient un peu inquiets d'ailleurs. C'est vrai que j'ai eu une grosse phase où je jouais beaucoup. Peut-être trop même, effectivement. Et à un moment donné, ça m'a un peu aussi... Comment dire ? J'ai eu une overdose de jeux aussi. À un moment donné, j'en pouvais plus. Et c'est à ce moment-là aussi que je suis passé de l’autre côté : comment on fait pour développer des jeux ? Finalement, le côté magique, je l'ai retrouvé dans la programmation de jeu, de pouvoir faire ce qu'on voulait sur un écran. À l'époque, c’étaient des écrans de télé. Il y avait ce côté magique aussi, qu'on a plus aujourd'hui : c'est que la télé, à la base, était juste un appareil pour regarder la télé et quelque chose de totalement passif. Et puis tout à coup, du jour au lendemain, on branche un appareil dessus et puis on peut contrôler ce qui se passe sur la télé. On voit des choses qui s'affichent. Des petits carrés de toutes les couleurs. Même pouvoir choisir la couleur des carrés qu'on affiche à l'écran, quand on a treize ans, c'est déjà... Il y a un côté un peu magique, c'est ça. C'est vrai que c'est, beaucoup de sensations qui me reviennent de cette époque-là où… Je me posais des questions qui, aujourd'hui, me semblent un peu absurdes. A l'époque on découvrait ce que c'était. Par exemple, je regarde encore le clavier du Spectrum. Je ne sais pas si vous connaissez cette machine.

PYH : Oui, avec son clavier mou.

PB : C'est ça un clavier mou, et en plus, sur chaque touche, vous avez des mots-clés [Montre son clavier à la webcam]. Je ne sais pas si ça se voit. Il y a plusieurs mots-clés inscrits sur chaque touche. [...] Et moi, j'étais devenu expert dans la frappe. Vous pouviez taper du code à toute vitesse si vous étiez assez à l'aise sur le clavier. J'ai appris un peu le BASIC sur cette machine, et je tapais les programmes avec ce clavier, qui n'a pas l'air terrible comme ça, mais qui était bien pensé. Aujourd'hui, ça ne se fait plus, évidemment. [...] C'est vrai que c'est aussi un bel objet. Ce n'est pas un clavier très courant. C'est vrai que j'étais un peu « amoureux » de cet ordinateur.

Figure 1

Clive Sinclair tenant sa création dans les mains, un ZX Spectrum, en 1982. (Photographie par Peter Jordan / Alamy, The Guardian , 17 septembre 2021, https://www.theguardian.com/games/2021/sep/17/clive-sinclair-zx-spectrum-offbeat-brilliance .)

[...]

PYH : Parce que, du coup, vous avez appris le BASIC à ce moment-là et j'imagine peut-être que vous avez, comment dire, reproduit des listings chez vous pour pouvoir jouer à des jeux ?

PB : Oui, il y avait ça aussi. À l'époque, il n'y avait pas Internet, donc on n'avait pas accès comme ça à des programmes facilement. Une des sources principales, c’étaient les revues, c'est-à-dire on allait acheter des revues dans les magasins. Pour moi, c’étaient des revues qui venaient d'Angleterre, parce que Spectrum, c'était anglais. Dans ces revues, on trouvait toutes sortes d'informations sur la machine, sur les jeux, et en particulier aussi des listings. Qui n'étaient que des suites de chiffres en fait. C'était une version numérisée du code. [...]

PYH : Est-ce que pour vous il y a une continuité entre le fait de manipuler ce code dans les listings et dans le fait de se mettre un petit peu à changer une variable ici ou là, et puis peut-être à essayer de changer telle ou telle ligne de code et cetera. ? [...]

PB : Les listings, c'est vraiment quelque chose qu'on tape pour voir le jeu qui va en sortir. Souvent, ce n'est pas extraordinaire, parce que c’étaient des jeux comme ça, gratuits, qu'on trouvait dans les magazines. Mais après, je ne me souviens pas que j'allais regarder le code ou quoi que ce soit. Je ne sais même pas si on avait vraiment accès au code final. Quand on tapait le code, ça sortait un jeu. Après la programmation, c'est vrai que je n'ai plus trop de souvenirs d'exactement par quelles étapes je suis passé. Sur Spectrum, c'était assez primitif, je n'ai pas fait des choses extraordinaires. C'était vraiment la découverte des principes de la programmation. C'était que du BASIC, je n'ai pas fait d'assembleur à ce moment-là. C'est venu un peu plus tard. Après le Spectrum, mon père m'a offert un Sinclair QL, qui était la machine suivante après le Spectrum, la génération suivante. Pour être dans la continuité du Spectrum. Mais c'était une machine qui était déjà plus professionnelle, c'est-à-dire qu'il y avait des logiciels pour faire comme Excel. Primitif, mais quand même déjà plus axé bureautique, moins jeu. C'est une machine qui n'a pas eu beaucoup de succès, mais par contre, il y avait un processeur qui était assez facile à programmer en assembleur. C’était le Motorola 68008. C'est là où je me suis mis à apprendre l'assembleur. Et c'est ce qui m'a permis après de commencer à faire vraiment des jeux, parce qu'à l'époque on ne pouvait coder que des jeux qu’en assembleur en fait, pour les questions de performance. C'est là où j'ai commencé à faire vraiment des choses intéressantes en programmation.

PYH : Ok.

PB : J'avais quinze ou seize ans, donc c'est resté des choses un peu comme ça, toujours pour apprendre la programmation, mais c'est resté du hobby, on va dire. D'ailleurs, à l'époque, à l'école... On avait des professeurs d'informatique qui étaient vraiment très sympathiques, qui organisaient même des soirées d'informatique à l'école. Il y avait un petit club d'informatique pour les étudiants, qui aimaient bien l'informatique. Ces professeurs partageaient leurs connaissances avec les étudiants qui étaient intéressés par ça. Moi, par exemple, je m'occupais d'un petit journal où je mettais des informations sur les dernières nouveautés de ces machines. On essayait de partager un peu les informations entre nous avec des petits magazines. J'avais une imprimante, j'imprimais le magazine, puis je le distribuais à chaque réunion. On n’avait pas accès à Internet, donc on se débrouillait un peu comme on pouvait. On récupérait aussi des disquettes ou des micro-drives. À l'époque, ça s'appelait des micro-drives sur les machines de Sinclair. On récupérait des programmes à travers ces magasins d'informatique aussi, qui n'hésitaient pas à distribuer des jeux piratés dans tous les sens. On récupérait des cassettes avec cinquante jeux gratuits dessus. Et puis comme ça, on apprenait aussi à programmer comme ça.

Figure 2

Scan du troisième numéro de QLUB , le journal du club que Paolo Baerlocher a édité en 1987 et 1988 pendant ses années de lycée. ( Qlub [Paolo Baerlocher, 1988(3), p1]) (Avec l’aimable autorisation de Paolo Baerlocher.)

PYH : Vous avez un souvenir du premier jeu ou de la première tentative de jeu que vous avez essayé de faire sur ces ordinateurs ?

PB : J'y ai pensé tout à l'heure, et bizarrement pas trop non. Je crois me souvenir que j'ai essayé de faire un casse-brique.

PYH : Oui ?

PB : Mais je ne suis même pas sûr. Parce qu'à l'époque, ils fournissaient pas mal de programmes aussi, de tests en fait, sur ces machines. Donc avec les codes sources, on pouvait les reprendre et puis regarder comment ça marchait et les modifier pour faire des tests. On ne peut pas dire qu'on faisait un jeu, mais on partait d'un jeu existant et puis on l'adaptait un petit peu. Mais sur Spectrum, je ne me souviens pas. Après sur [Sinclair] QL, j'ai fait d'autres choses, des choses un peu plus sophistiquées. J'avais fait un jeu de taquin, le jeu où on coupe l'écran en grille de quatre par quatre. Et puis l'ordinateur décompose l'image de façon aléatoire et après le joueur doit essayer de déplacer les cases pour retrouver l'image d'origine. [...] Un truc dont j'étais assez fier, c'est que j'avais une imprimante qui imprimait en quatre couleurs, qui était assez sophistiquée pour l'époque, mais elle était terriblement lente. C'est-à-dire, quand on voulait imprimer une image, ça prenait, je sais pas, une demi-heure. C'était le temps pour envoyer toutes les datas. Alors j'étais fatigué de ça et je me suis dit, « ben tiens je vais essayer de le faire en assembleur ». Et ça m'a donné un très bon exemple d'application de ce que je venais d'apprendre en 68000. J'ai écrit un programme qui balançait toutes les datas à l'imprimante en assembleur. Du coup, ça me faisait des impressions beaucoup plus rapides. En cinq minutes, j'avais mon impression. J'avoue que j'étais particulièrement fier du résultat. Donc voilà, j'ai fait des petites choses comme ça. Et puis après, l'étape la plus importante pour moi, finalement, c'est la machine suivante, l'Archimedes, qui est un ordinateur aussi anglais construit par une société qui s'appelait Acorn, qui n'existe plus maintenant. Et alors là, je pense que c'est ce qui a fait le déclic pour moi, où je me suis convaincu que j'allais faire du jeu vidéo. Parce que ce n'était pas encore sûr sûr. Donc je l'ai eu vers, je sais plus, peut-être vers dix-sept ou dix-huit ans. C'était en 1987 ou 88, je ne sais plus. L'ordinateur est sorti en 87. En fait, sur cette machine, il y a un jeu qui est sorti. C'était le premier jeu qui était développé sur cette machine. Je ne sais pas si vous l'avez connu ou pas. C'est un jeu développé par David Braben, qui est l'auteur d'Elite, qui est un jeu très connu.

Figure 3

Capture d'écran du jeu Zarch (1987) de David Braben. La scène montre un paysage accidenté en polygones, que le joueur peut traverser à bord d'un petit vaisseau spatial. (Capture d'écran de Paul Mallinson, The King of Grabs , 8 mars 2020, https://thekingofgrabs.com/2020/03/08/zarch-archimedes/ .)

Elite, c'est un des jeux les plus connus. C'est un jeu qui se déroule dans l'espace, avec du commerce spatial, des combats spatiaux entre vaisseaux, et cetera. Et pour la sortie de l'Archimède, Braben avait développé un jeu qui s'appelle Zarch [...] qui est un jeu en 3D avec des polygones remplis, [...] avec un éclairage, ce qui était très rare aussi, et des effets de particules. Quand on a vu ça, on s'est tous pris une baffe quoi. Tu te dis « mais comment c'est possible ? » Du coup, mon père a eu la gentillesse de m'acheter cet Archimedes, qui était une machine qui coûtait cher à l'époque. C'était un peu le concurrent de l'Atari ou de l'Amiga, qui n'a pas eu du tout le même succès bien qu’il était plus performant en termes de calcul et avait des capacités plus élevées. C'était la machine qui a utilisé pour la première fois le processeur ARM [...] Donc David Braben a développé ce jeu en assembleur. La légende dit qu'il l'a développé en trois mois, alors qu'il n'avait pas encore la version finale de la machine en plus, puisque le jeu est sorti en même temps que la machine. [...] Et puis un jour, je suis tombé sur un article, une interview de David Braben qui expliquait un peu sa façon de travailler, son succès dans les jeux vidéo. Il disait qu'il avait gagné [beaucoup d’argent] avec ses jeux. Et donc là, je me suis dit « oula mais alors on peut gagner de l'argent en faisant des jeux vidéo, donc c'est bon, je vais faire des jeux vidéo ». Et pour moi, c'est vrai qu'à ce moment-là, [David Braben], c'est devenu un peu mon [...] un peu mon idole quoi. Je suis devenu fan de ce développeur qui faisait des choses incroyables. [Lors d’un salon à Londres,] j'ai eu l'occasion de le rencontrer. J'ai pu lui montrer un peu ce que je faisais aussi. Sur cet Archimedes, en fait j'ai eu après la possibilité de sortir deux jeux, d'un point de vue commercial. J'ai rencontré un graphiste qui s'appelle Marc Andreoli, qui habitait à Bâle à l'époque. Qui avait le même âge que moi. Je ne sais plus comment on s'est dit qu'on allait faire des jeux vidéo ensemble. [Rire] C'est vrai que c'est pareil, à l'époque c'était compliqué parce qu'il n'y avait pas Internet. Le seul fait de s'échanger des fichiers était compliqué en fait. Quand on devait s'échanger des fichiers, je le mettais sur une disquette, je l’envoyais par la poste et lui la recevait deux jours plus tard. Donc ce n'était pas très pratique. Et puis on se passait des coups de fil régulièrement pour se synchroniser, pour discuter de ce qu'on allait faire. On passait beaucoup de temps au téléphone aussi. Et comme ça, on a pu sortir notre tout premier jeu. Qui était un jeu 2D. J'ai la boîte, je ne sais pas si vous l'avez déjà vue, mais ça s'appelait Poizone.

Figure 4

Scan de la disquette du jeu vidéo Poizone (1991), affichant les collaborateurs, le titre du jeu ainsi que le logo du distributeur. (GitHub de Paolo Baerlocher, consulté le 25 septembre 2025, https://github.com/PaoloBaerlocher/Archimedes/blob/main/assets/poizone/README.md )

C'est un jeu, rien de très original, mais moi j'aimais bien à l'époque les jeux d'arcade. Il y avait un jeu qui s'appelait Pengo, qui était un jeu avec un pingouin qui pousse des blocs. J'aimais bien ce concept-là, donc je l'ai repris. Et je l'ai fait évoluer un petit peu, c'est-à-dire que j'ai rajouté des règles pour détruire les blocs. C'est-à-dire que le jeu est composé d'un ensemble de blocs qui représentent des éléments toxiques qui se retrouvent sur la planète. C'est un jeu avec un message écologique. Le pingouin doit détruire tous ses blocs, mais chaque bloc a une règle à respecter, pour qu'on puisse détruire le bloc. Il y a un temps imparti pour détruire tous les blocs qui se trouvent sur la map. C'était notre premier jeu, sorti en 1991, et qui a été publié par une petite société d'édition de jeux française qu'on avait rencontrée dans une demoparty, je ne sais plus où [Paolo Baerlocher se souvient par après que c’était à Bâle]. Ils cherchaient des développeurs de jeux, et puis du coup on s'est croisés. Ils s'appelaient Eterna, qui était basée à Montpellier [France], et ils éditaient des jeux pour l'Archimedes. Et ils faisaient aussi des bornes d'arcade. Leur idée était de développer des jeux pour ordinateurs et puis après de les porter sur bornes d'arcade. Celui-là, je ne sais pas s'ils l'ont vraiment sorti sur bornes d'arcade. La société a malheureusement a coulé rapidement parce que les jeux ne se vendaient pas très bien. Ce n'était pas une machine [l'Acorn Archimedes] qui se vendait beaucoup, de toutes façons, par chez nous.

PYH : Ok. Ça fait le lien avec plein de choses de l'époque. D'une part, ça montre que vous alliez peut-être régulièrement jouer aussi en salle d'arcade ?

PB : Pas tant que ça, en réalité. C'est vrai que là où j'habitais. Au Tessin, où je suis né, à ma connaissance, il n'y a jamais eu de bornes d'arcade. De toutes façons, je ne sortais pas spécialement. Par contre, j'allais passer mes vacances en France, parce que ma mère était française. Et là, il se trouve qu'au bord de la plage, il y avait une salle d'arcade un peu enfumée dans la fumée des cigarettes. C'était l'occasion pour moi de découvrir [ces jeux]. Il y avait les flippers, qui étaient déjà de l'époque un peu d'avant. Et puis il y avait ces bornes d'arcade avec des jeux [...]. En tant qu'enfant, c'était un bon divertissement. Sauf que de temps en temps, comme j'étais assez jeune – c'est le souvenir qui me reste aussi de ces bars ou de ces salles d'arcade – il y avait les grands garçons qui venaient me racketter. [...] Après, ma mère n'était pas contente, mais j'y retournais quand même. [rire] Mais sinon, à part ça, je n'ai jamais trop joué sur borne d'arcade. À l'époque, [...] les salles d'arcade, c'était toujours le top, c'était toujours ce qu'il y avait de mieux en termes de qualité technique, et cetera. Et puis à la maison, il y avait... ces ordinateurs qui permettaient d'avoir un peu la même sensation, mais en moins bien. C'est le souvenir que j'ai.

PYH : Justement, une autre pratique d'époque que vous avez brièvement évoquée, qui va jouer sur ces qualités techniques, c'est les demoparties et la demoscene.

PB : Oui, c'est vrai.

PYH : Alors, ça s’est fait chronologiquement ? Vous avez commencé par mettre un pied dans la demoscene avant le développement de jeu, ou ça se fait en parallèle ?

PB : J'avoue que j'ai pas les idées très claires, mais je dirais quand même plutôt avant. Parce que la démo en soi, c'est un test de compétences techniques, entre autres, et ça prépare le jeu vidéo, effectivement. Pour Poizone, peut-être pas, parce que c'était un jeu en 2D, donc c'était relativement simple, mais quand même, la demoscene m'a permis de rencontrer des gens qui m'ont aidé sur ce projet-là, qui ont même fourni des modules, par exemple, pour la partie audio. Parce qu'à l'époque, il fallait tout faire pour jouer un son. Il faut voir que tous ces jeux étaient développés en assembleur. À la base, il n'y a rien. C'est juste addition, soustraction, écrire, lire en mémoire, et puis c'est tout. [...] Ce n’est que sur Archimedes que j'ai commencé à rencontrer des gens de la scène des démos. Comment ça s'est passé, je ne sais plus trop. J'avais reçu une démo qui était assez chouette, avec une belle musique. Une musique, à l'époque, ça se jouait avec des sound trackers. [...] Il y avait ce développeur qui avait [...] reproduit les sound trackers qu'on trouvait sur Amiga et sur Atari, qui existaient déjà. Il les a recodés sur Archimedes. En plus, sur Archimedes, il était capable de jouer huit sons à la fois, alors que sur Atari et Amiga, c'était que quatre. Donc, il y avait plus de potentiel. Il s'appelait Fabrice Mercier, il habitait près du Havre, en France.

Figure 5

Scan d'un courrier envoyé par Fred Mercier à Paolo Baerlocher. (Avec l’aimable autorisation de Paolo Baerlocher.)

Et donc un jour, comme ça, je me suis dit, il faut que j'aille le rencontrer, parce qu'en plus, par téléphone, il m'avait dit : « je suis en train de monter un groupe de demomakers ». Donc moi, je suis parti là-bas, je ne sais plus comment, j'ai pris le train, je suis parti, j'ai traversé la Suisse et la France. Je suis arrivé là-bas, on s'est rencontrés, et puis c'était un gars très très sympa. Il a construit ce groupe de demomakers qui s'est appelé Arc Angels, qui était spécifique pour l'Archimedes. Donc lui il a été capable de me fournir un module qui me permettait de jouer des sons et des musiques. C'était déjà un premier élément important pour le jeu. Après, il y avait aussi des gens à l'étranger. Il y avait un gars qui était en Hollande, que je n'ai jamais rencontré, mais qui faisait de la compression de données. Il y avait très peu de place sur la disquette, avoir des modules de compression et de décompression, c'était important. Il m'a fourni son module gratuitement. Tout ça, c'était plutôt de l’entraide, gratuite. Et puis ça m'a permis aussi de rencontrer d'autres personnes. Et puis effectivement, on a fait des démos ensemble. On a fait ce qu'on appelle une méga démo. C'est une grosse démo qui contient plusieurs petites démos faites individuellement par chaque membre de l'équipe. Donc moi, j'avais fait des démos avec Marc, pour le côté graphique. Elles ont été intégrées dans cette méga démo qu'on peut encore voir grâce à l'émulateur Archimedes. Heureusement, on peut encore faire tourner tous ces jeux et toutes ces démos grâce à ces émulateurs qui sont remarquables.

Figure 6

Capture d'écran de la mégademo d'Arc Angels datant de 1991. L'image montre les menus navigables de la mégademo et l'avatar pilotable arrivant devant une porte qui mènera à l'une des démos de Baerlocher. (GitHub de Paolo Baerlocher, consulté le 25 septembre 2025, https://github.com/PaoloBaerlocher/Archimedes/tree/main/Demos )

PYH : Justement, Adrian me montrait cette méga démo avant l'entretien, et il y a des phases avec un personnage qu'on peut diriger ?9

PB : Oui, c'est ça. Cette phase-là, c'est Fabrice Mercier qui l'a codée. Les graphismes, c'est Marc Andreoli qui les a faits. Il y avait un travail d'équipe. C'est le portail d'entrée de la méga démo. Il y a un petit jeu, parce qu'il faut aller retrouver les portes d'entrée des démos. Il y en a certaines qui sont cachées, d'ailleurs. Il y a des téléportations. Je ne sais plus combien il y a, peut-être cinq ou six démos dans cette map. Et comme ça, ça donne accès à des démos. [Les miennes sont signées] Armaniac, c'était mon nom de scène [en référence au processeur ARM]. Et je crois que j'avais deux démos dedans. C'est aussi à ce moment-là que j'ai commencé à me focaliser sur la 3D, parce que sur l'Archimedes, en fait, il y avait beaucoup de démos, en plus de Zarch, qui était une démo[nstration] extraordinaire de ce qu'on pouvait faire en 3D, il y avait aussi d'autres démos gratuites qui circulaient, faites par des gens de Acorn, qui démontraient les capacités 3D de la machine. À cette époque-là, je ne vous apprends rien, mais il n'y avait pas de GPU, il n'y avait rien pour tracer ces objets 3D. Donc en fait il y avait une course à celui qui arrivait à écrire la routine la plus rapide pour dessiner un triangle. C'était ça le challenge, pas que sur Archimedes, sur toutes les machines. Le 3D c'était ça, c'était arriver à tracer des objets le plus rapidement possible. Et en plus avec des effets de plus en plus complexes. Au début c'était du fil de fer, après c'est devenu des triangles pleins, ensuite des triangles éclairés, avec des calculs d'éclairage, de sources de lumière. Après des triangles texturés. Il y a eu différentes versions de texturing, dans Doom par exemple, c'est du texturing mais aligné sur un axe de la caméra, soit horizontal soit vertical, donc ça simplifie les calculs. Et puis après c'est devenu le texturing complet général d'une scène 3D, comme dans Quake par exemple. C'est vrai qu'il y a aussi des gens comme John Carmack qui ont beaucoup travaillé sur ces sujets-là pour arriver à faire du bon rendu en software. À l'époque, encore une fois, il n'y avait pas Internet et je me souviens que je devais aller dans les bibliothèques pour fouiller un peu dans les livres d'informatique. Parce que John Carmack, à l'époque, il écrivait aussi des livres avec toutes ces petites astuces. [Rire] On allait fouiller dans les bouquins pour trouver peut-être quelques lignes [de code] qui permettaient de faire, par exemple, une division, une racine carrée, de la façon la plus rapide possible. Donc il y avait toute une course à cette performance.

PYH : Vous alliez aussi dans les demoparties pour voir ce que les autres faisaient, pour montrer vos propres créations ?

PB : Alors les demoparties [...] concrètement sur place je n'en ai pas fait. Peut-être une, et encore ce n'était pas vraiment une vraie demoparty, c'était plus des gens qui avaient des Archimedes et qui voulaient se rencontrer pour discuter. En réel, je n'en ai jamais faite parce que, déjà en Suisse, il n'y en avait pas, à ma connaissance. Et puis si c'était à l'étranger, il fallait voyager. Quand on a dix-neuf ans, vingt ans, ce n'est pas donné non plus. Sur Archimedes, de toute façon, je pense qu'il n'y en avait pas parce que c'était une machine trop confidentielle, qui restait localisée au territoire anglais essentiellement.

PYH : Je trouvais justement super intéressant le fait que vous ayez été approché dans une copyparty ou une demoparty, je ne sais plus, par cet éditeur de Montpellier. Donc là, vous étiez dans un événement qui était en France ?

PB : Je ne me souviens plus où c'était. [Comme mentionné plus haut, Paolo Baerlocher s’est souvenu par après que c’était à Bâle].

PYH : Les démos sont intéressantes aussi pour nous, parce que ça permet de voir qu'il y a un lien assez fort, a priori, entre la démo et les jeux vidéo. [...]

PB : Oui, tout à fait. La démo est un peu le préliminaire aux jeux vidéo. C'est presque comme un prototype, en tout cas [en termes de] de routine, de savoir-faire, de savoir jouer de la musique, de savoir afficher un objet. Après, ça ne veut pas dire que toutes les démos ont débouché sur un jeu. Mais pour faire un jeu, il faut déjà avoir les fonctionnalités, un peu comme un moteur. Comme aujourd'hui, on utiliserait un moteur comme Unity, et cetera. On est obligé d'avoir une base de routines pour faire des [opérations]. Après Poizone, [Aldebaran] était le deuxième jeu qu'on a développé avec Marc. C'est mon jeu fétiche, on va dire. [...] C’est un jeu dont le but est d'exploiter toutes ces démos techniques que j'avais faites en 3D. C'était dommage de garder juste ces démos en tant que démos. On retrouve certains éléments du jeu dans des démos qui ont été faites avant. C'est un peu l'aboutissement. En plus travaillé, en plus joli, avec une histoire qui lie tout ça. Mais honnêtement, pour moi, c'était surtout un challenge technique. J'ai dû inventer un game design et une histoire avec Marc pour que ça tienne debout. Mais ce n'était pas forcément le plus réussi. Je pense que certaines personnes s'en souviennent pour l'aspect technique, mais pas pour le jeu en soi, qui était un peu compliqué, un peu prise de tête. Mais c'est vrai que, en fait c'était surtout ça qui impressionnait on va dire. Comme j'étais fan de Zarch, j'ai voulu reproduire la même chose. Mais sur un territoire plus vaste, [rendu] sur tout l'écran. J'ai essayé de reproduire ce que David Braben avait fait. J'ai rajouté des nouveaux effets, des nouvelles fonctionnalités. On sent l'inspiration de ce jeu-là, c'est clair. Mais bon, il est quand même sorti. Et en plus, c'est un éditeur suisse qui l'a édité. À l'origine, c'était Eterna qui était intéressé par le jeu, qui m'a dit « on va t'éditer aussi ce jeu-là ». Et puis en fait, ils ont fait faillite avant. C'est cet éditeur suisse, Evolution Trading, qui était en fait le distributeur de l'Archimedes en Suisse, et en Allemagne aussi. Je crois que c'est eux qui avaient organisé cette demoparty ou copyparty. Je crois que c'était à Bâle, je ne suis plus tout à fait sûr. Je pense que c'était à Bâle.

Figure 7

Capture d’écran du jeu Aldebaran (1993), dans laquelle le joueur dirige un petit vaisseau spatial à travers un paysage polygonisé. (GitHub de Paolo Baerlocher, consulté le 25 septembre 2025, https://github.com/PaoloBaerlocher/Archimedes/blob/main/assets/aldebaran/README.md )

PYH : Est-ce qu'à ce moment-là, que ce soit pour Poizone ou pour Aldebaran, vous côtoyez d'autres personnes qui développent des jeux, ou des débuts de jeux, ou des bouts de jeux ?

PB : Quand je commence à développer Aldebaran, je débarque aussi à l'EPFL [à Lausanne] pour commencer mes études d'informatique. Là, c'est un changement pour moi parce qu'au Tessin, c'est vrai qu'il n'y avait pas grand-chose. [...] Mais après, une fois que je suis arrivé à l'EPFL, [...] j'ai aussi rencontré d'autres personnes qui avaient les mêmes intérêts que moi, de mon âge. Par exemple, il y avait un étudiant qui s'appelait Fred Schaerlig, qui était de Genève, et qui codait aussi des démos dans la méga démo, qui faisait aussi partie du groupe [Arc Angels], et qui me donnait aussi des conseils sur la 3D sur le game design, et cetera. Il était aussi intéressé par le jeu vidéo, même si lui n'en a pas fait son métier. Je crois qu'il a fait un petit jeu une fois, comme ça, pour voir, mais il n'est pas resté dans ce domaine. Mais effectivement à l'EPFL, oui, je n'en parlais pas tant que ça, mais je voyais que c'était déjà un sujet plus… J'étais au milieu d'étudiants informaticiens, donc c'était plus facile d'en parler. Mais après, des gens qui faisaient vraiment des jeux comme ça dans le but de les sortir, non, à cette époque-là, je n'en ai pas connu. C'était peut-être encore un peu tôt.

PYH : Je voulais demander aussi, par rapport justement à ces contacts avec Evolution Trading, qui vous édite à ce moment-là, si vous aviez peut-être entendu parler d'autres personnes qui étaient sous contrat avec eux, et ainsi de suite ?

PB : Moi, je n'étais pas en contact direct avec Evolution. C'était Fred Schaerlig qui les connaissait, qui jouait le rôle de manager. Je ne sais plus comment il les connaissait, mais c'est quelqu'un qui a le contact plus facile que moi, on va dire. Donc, il gérait tous ces aspects-là, business, marketing, négociation des contrats, et cetera, toutes ces choses-là.

PYH : Ok. C'est super intéressant.

PB : C'était une expérience intéressante parce que c'était du début à la fin, jusqu'à la release du jeu, de voir tous les aspects d'un développement de jeu. Le côté technique, artistique, mais aussi marketing, distribution aussi, publicité. Si vous regardez sur le GitHub, j'essaie de collecter toutes les informations que j'ai pu retrouver sur ces jeux.10 Finalement, il y en avait pas mal. Dans les magazines de l'époque, vous retrouvez beaucoup de publicités, de reviews, d'articles. Donc ça a laissé une trace, que j'ai essayé de collecter.

Figure 8

Scan d'une critique d’ Aldebaran (1993) parue dans le numéro de mars 1993 du magazine Acorn Computing. (GitHub de Paolo Baerlocher, consulté le 25 septembre 2025, https://github.com/PaoloBaerlocher/Archimedes/blob/main/assets/aldebaran/README.md )

PYH : Comment vous vivez la période avec ces deux jeux-là ? Vous vivez ça comme un tremplin, comme le début de la carrière ? C'est plein d'espoir ? Comment est-ce que vous vivez ça ?

PB : Au début, je ne me fais pas trop d'illusions. Je ne me dis pas que je vais devenir riche comme David Braben. Mais je me dis qu'il faut bien commencer par quelque chose. Assez vite, je me rends compte quand même que c'est fastidieux, que c'est dur, que ça prend beaucoup de temps. C'est vrai que c'est un sacrifice aussi, parce qu'en même temps je fais des études. Ça veut dire que je consacre une énorme partie de mon temps libre finalement, à développer ces jeux. Je ne fais pas beaucoup d'autres choses en réalité. Et c'est vrai que les ventes sont décevantes. Après avoir sorti Aldebaran, je me dis que faire des jeux soi-même, tout seul dans son coin, ce n'est pas forcément un bon plan pour... On ne peut pas en vivre tout seul. Il faut faire partie d'une équipe avec des gens qui savent lever des fonds, qui savent faire le marketing, la publicité. Chacun son rôle. Je me rends compte que je ne suis pas non plus fait pour faire du game design, par exemple. Sur ces jeux, je vois qu'il y a quelque chose, que le résultat n'est pas terrible, ça ne m'a pas emballé de le faire. Je l'ai fait parce qu'il fallait bien qu'il y ait quelque chose, mais il n'y a que le côté technique finalement qui m'a intéressé. Le fait d'afficher des polygones à toute vitesse, ça, ça m'a plu. Donc ça m'a orienté un peu quand même sur ce que je voulais faire dans le jeu vidéo : ça sera de la programmation, ça sera technique, moteur, et cetera. Et donc, après, je termine mes études à l'EPFL. Et puis dès que j'ai fini, hop, j'essaie de trouver une boîte où je peux faire mes premiers pas dans le professionnel, on va dire. Et puis là, c'est vrai qu'en Suisse, il n'y a absolument rien du tout à l'époque. Donc, j'hésite entre l'Angleterre et la France, parce que c'est les pays principaux, je dirais, où il y a du développement à ce moment-là. Et bon, c'est vrai que la France, c'est plus près, c'est plus facile. En plus, j'avais une tante qui habitait à Paris, donc elle m'a aidé au début pour m'installer à Paris, ce qui n'était pas toujours facile. Et puis assez rapidement, j'ai trouvé un boulot chez [VisiWare] une petite boîte de jeux vidéo qui était située à La Défense. Pour moi, c'était une expérience extraordinaire. C'était mon premier boulot. En plus, c’étaient des gens qui venaient de Loriciel, une boîte qui avait une certaine aura quand même, qui [est restée] dans l'histoire du jeu vidéo. Ils ont fait des jeux dont on parle encore aujourd'hui, quand on parle des jeux rétro. Donc voilà, j'ai sorti le grand jeu pendant l'entretien, j'ai parlé de mes optimisations en assembleur pour les polygones, et cetera. [Rire] Du coup, j'ai été retenu. Je ne suis pas resté très longtemps, je suis resté un an et demi. J'ai travaillé sur un jeu de course de Formule 1.11 Il n'a pas eu un grand succès, mais c'était quand même un assez gros jeu. Un jeu où tout le rendu était fait en 3D, donc finalement avec un peu les mêmes principes, avec des rendus software texturés sur PC. Et puis pour moi, le point le plus important surtout, c'est que ça m'a permis de rencontrer des collègues aussi bien graphiste que programmeur, qui, par la suite, ont monté leur propre boîte [Neko Entertainment], en quittant VisiWare. Je suis parti plus tard dans cette boîte donc, et je suis devenu associé avec eux. C'était une étape très importante, pour moi. C'était une aventure qui a duré plus de quinze ans. Et qui était assez intense. Et là, c'est encore l'étape suivante où finalement, c'est une boîte qui tourne, qu'il faut faire tourner, avec des gens à gérer, des projets, des fois qui marchent, des fois qui ne marchent pas. Il faut tenir toujours la tête au-dessus de l'eau pour que la boîte continue de vivre, d'exister. Quelques succès de temps en temps, mais souvent c'est des échecs. Mais voilà, la boîte a duré quinze ans quand même. Ça m'a permis d'apprendre beaucoup de choses aussi sur les consoles, parce qu'à ce moment-là, dans cette boîte, j'ai commencé à développer sur console. Ce que je ne faisais pas avant. Donc j'ai pu développer sur PlayStation 2, puis la GameCube, après la PS3, la Xbox, la Nintendo DS, la Nintendo Wii. La Wii U, enfin je les ai toutes faites. Je me suis un peu spécialisé dans les portages, c'est-à-dire qu'il y avait des équipes de développement qui développaient le jeu sur PC, et puis après, on voulait sortir aussi ces jeux sur toutes les consoles possibles, donc il y avait du travail d'adaptation, du code [spécifique] à chaque machine. Donc ça, c'est devenu un peu ma spécialité.

PYH : C'est intéressant parce que ça prolonge bien, j'ai l'impression, votre intérêt pour le côté purement technique tout en étant vraiment dans le jeu vidéo.

PB : Oui, tout à fait.

PYH : Il y a ce rapport aux particularités de chaque machine. Il faut aller chercher un peu le code précis, les fonctionnements précis.

PB : Oui, c'est ça. C'est ça qui me plaît. Parce que le gameplay, ça me plaît aussi mais, déjà, c'est plus un travail d'équipe, je dirais. Il faut interagir avec les game designers, avec les producers. C'est déjà plus... Il y a plus de discussions, on va dire. En plus, il faut reconnaître que c'est un travail plus… [... Le gameplay, c'est quand même ce que le joueur voit à la fin. J'ai côtoyé des programmeurs gameplay, j'étais vraiment admiratif de leur travail. Il faut vraiment aimer ce qu'on fait, il faut avoir de l'amour pour ce qu'on fait, pour que ça se voit à la fin dans le jeu. Bon moi, ça reste plus technique. Il faut que ça tourne, faut que ça soit efficace, faut que ça soit vite fait, faut que ça soit rapide, il faut qu'il n'y ait pas trop de bugs. Mais ça, je suis comme un peu détaché du projet. Et c'est vrai que le développement dans le jeu vidéo peut être assez dur parce qu'il y a des projets souvent qui capotent. On peut travailler des fois même des années sur un projet, sur une histoire, et puis tout passe à la poubelle parce que le projet n'a plus d'argent. Donc émotionnellement, ça peut être assez dur. Si on est sur la partie technique, c'est un peu plus léger on va dire.

PYH : J'étais particulièrement sensible à ce que vous disiez tout à l'heure sur le fait que c'était, sur ces deux premiers jeux, par exemple Aldebaran, sur le fait de découvrir aussi que c'est fastidieux. [...] Qu'est-ce qui fait que vous n'avez pas abandonné dans ces deux premiers jeux-là sur le côté fastidieux ? Est-ce que c'était une passion pour un certain type de choses ? Est-ce que c’étaient des interactions sociales ? [...]

PB : Moi il n'y avait pas beaucoup d'interactions sociales parce qu'on n'était que deux finalement sur ce projet. [Rire] En plus, on était très compatibles, on va dire, Marc et moi. On a toujours été d'accord sur plein de choses. J'ai été très heureux de travailler avec lui. Ce n'est pas toujours le cas. Quand on est dans une entreprise, on travaille avec les gens... qui sont là. Des fois, ça se passe bien. Des fois, ça se passe moins bien. Il y a aussi ce côté-là. Après, sur les deux premiers, [...] on est forcément un peu plein d'illusions. On se dit : « ça va marcher ». Et puis c'est un peu un rêve de sortir un jeu au début. Plus maintenant, évidemment. Je ne pourrais même pas dire sur combien de jeux j'ai travaillé. C'est des dizaines, donc je ne sais plus. Je ne suis plus à un jeu près, mais c'est sûr que le premier ou le deuxième, c'est différent. C'est un peu une fierté quoi. Donc non, je serais allé au bout, quoi qu'il arrive.

PYH : Porté par le rêve.

PB : Je voyais où je voulais arriver. Je ne m'étais pas imposé des objectifs irréalistes. C'est un peu le problème dans le jeu vidéo. Des fois, on s'impose des objectifs qui ne sont pas réalistes par rapport à la taille de l'équipe ou des moyens. Des fois du coup, le projet ne va pas jusqu'au bout. C'est un peu inévitable. Donc non, je pense que c'était juste le maximum de ce que je pouvais faire à ce moment-là.

PYH : C'est ça, d'avoir bien saisi « qu'est-ce que je peux faire avec cette machine, ces moyens », et cetera. Je refais justement un pas en arrière, parce que vous l'avez mentionné, Poizone, a cette dimension écologique, ce message écologique, est-ce que ça, est-ce qu'il y a une volonté de message politique ou est-ce que c'est vécu comme ça à ce moment-là ? D'où ça vient cet, ce thème-là ? Comment est-ce que c'est arrivé ?

PB : Je dirais qu'à l'époque, j'étais très sensible à ce sujet-là. C'est-à-dire, je faisais partie du WWF. Je trouvais absurde de conduire une voiture parce que ça polluait. J'étais à fond là-dedans. […] Après, ça m'est un peu passé, même si je m’intéresse toujours à l'écologie, mais plus de la même façon. Et je ne sais pas pourquoi, ça m'est passé par la tête de mettre ce sujet-là dans le jeu, mais je ne sais plus pourquoi.

PYH : Ça faisait partie de votre imaginaire à ce moment-là, de vos références culturelles ?

PB : Je pense que je voulais faire passer un message quand même. Je me suis dit quand même… « Il y a des déchets partout, il faut se retrousser les manches ». Je me souviens que mon père nous avait incité, enfin nous avais fait participer à une session de nettoyage d'une rivière au Tessin, par exemple, avec une association écologiste. On était allés dans la rivière pour sortir tous les déchets et les mettre dans une benne. Ça m'avait bien plu. Je m'étais dit : « là, je fais quelque chose d'utile. C'est pas que du blabla. C'est comme ça qu'il faut faire. Faut y aller, faut nettoyer quoi ». Du coup, je sais plus si c'était à ce moment-là, c'était peut-être un peu plus tard, mais je me suis dit, ce message-là, on peut le faire passer. Après, il y a des contradictions aussi, parce que ça reste un jeu emballé dans du plastique, donc on pourra me dire que je contribue à la pollution. Mais bon, j'ai essayé de faire passer le message et j'ai l'impression qu'il n'y avait pas beaucoup de jeux qui le faisaient, en plus. Peut-être maintenant plus. Au moins, il y a une petite originalité pour l'époque.

[...]

PYH : Adrian était, je pense, particulièrement impressionné par le GitHub.

PB : Qu'est-ce que tu as regardé ? Tu dois être le seul, parce que je ne suis pas sûr qu'il y ait grand monde qui s'intéresse à ce que j'ai mis dessus.

Adrian Demleitner : C'est énorme. Je me demandais, tu as commencé comment ? Qui a fait cette, qui a eu l'idée de faire un [repository] ?

PB : Oui, alors ça c'est intéressant, parce qu'en fait moi j'avais des disquettes [pour] Archimedes que j'avais conservées de l'époque, mais du coup ça faisait, quoi, ça faisait presque trente ans que je les avais, mais que je ne m'en servais plus en fait, parce que j'avais vendu mon Archimedes [...]. Et pendant plusieurs années je me suis demandé, « mais c'est dommage que je ne puisse pas récupérer les sources de mes jeux que j'ai laissé sur ces disquettes ». Et puis en plus, avec le temps, ça se dégrade, donc peut-être qu'un jour, je ne pourrai plus du tout accéder à mes sources. Et puis, je ne sais plus quand c'était, il y a deux ans, c'est Robin François [...], qui m'envoie un mail sur LinkedIn, qui me dit, « dans les collections [du musée Bolo12], on a retrouvé un exemplaire de Aldebaran, et j'ai vu ton nom, et cetera. « Donc du coup, on a échangé un peu. Et moi, je lui ai dit: « j'ai des disquettes avec des sources d'Aldebaran dessus. Mais je peux pas les lire, j'ai pas le matériel ». Et c'est là qu'il m'a dit: « ah, mais moi j'ai ce qu'il faut ». Il avait des appareils, un outil qui s'appelle Pauline, qui permet de faire ça.13 Donc du coup, on est passé par une personne de l'association qui passait par Paris, à qui j'ai donné ces disquettes, qui les a rapportées en Suisse. Et là, il a pu déchiffrer, enfin, dumper le contenu de mes disquettes. J'en avais une dizaine. Et après, moi, je suis allé regarder dans les dumps, et puis j'ai retrouvé plein de choses que j'avais complètement oubliées, et en particulier des sources. Je ne sais pas si c'est vraiment la dernière version ou pas, mais pour Poizone, je pense que c'est la dernière version de ce que j'ai vu. Et aussi les outils que j'avais développés pour le jeu, parce qu'il y avait aussi un petit éditeur de sprites pour Marc [Andreoli]. Il y avait des choses annexes, il n'y avait pas que le code du jeu. Et comme ça, je me suis dit, « j'aimerais bien que maintenant je le mette dans un endroit un peu sécurisé. Je ne sais pas si ça va intéresser quelqu'un, mais je le mets à disposition de tout le monde et puis on verra ». [...] Je pense que c'est dur à lire, mais au moins on voit à quoi ressemblait le code d'un jeu vidéo, parce que tout le monde faisait pareil, il n'y avait pas d'autre choix. Voilà à quoi ressemblait le code d'un jeu vidéo en 1990. Si on voulait faire de la 2D, ça ressemblait à ça, et si on voulait faire de la 3D, ça ressemblait à ça. Étonnamment, quand j'ai regardé dedans, j'ai quand même assez facilement retrouvé les routines clés, donc je suis encore en mesure d'expliquer ce qui se passe dedans.

AD : Le code dans le repository c'est le code original ou déjà accompagné par des nouveaux commentaires ?

PB : Normalement, il n'y a pas de nouveau commentaire. Les commentaires sont les commentaires d'origine. J'ai mis exactement ce qui a été récupéré des disquettes. Donc, c'est des choses qui ont été écrites il y a 30 ans. Alors, j'ai vu avec plaisir que j'avais mis des commentaires... [rire] je me suis dit « bien joué ». Effectivement, à l'école, on nous expliquait qu'il fallait mettre des commentaires. C'est vrai que ça aide. Après, Aldebaran, c'est un code plus complexe, c'est un jeu plus gros. Je ne suis pas sûr d'être en mesure de le recompiler, par exemple. Enfin, de le rebuilder. Il y a trop de choses. Poizone, c'est un jeu assez simple. J'ai l'impression que je suis capable, et encore. J'ai les codes sources, mais je n'ai pas forcément toutes les données graphiques. J'en ai beaucoup, mais je ne les ai pas forcément toutes. En plus, les données étaient compressées avec l'outil dont je vous parlais tout à l'heure. Donc des fois, dans le process de build, il y avait des subtilités qui font que je ne suis pas sûr de pouvoir rebuilder le jeu. C'est plus quelque chose à regarder. Pour voir comment on codait un jeu, mais voilà ça s'arrête là. On peut retrouver des optimisations, par exemple. Si ça intéresse quelqu'un, on peut regarder par exemple cette fameuse fonction pour dessiner un triangle. Qu'est-ce qui fait qu'elle est plus rapide qu'une autre ? Je peux montrer exactement le morceau de code où j'essaye d'exploiter au maximum les capacités des instructions ARM. Pour que ça se fasse dans un nombre minimal de cycles. Parce que le processeur ARM avait une spécificité par rapport au précédent, c'est qu'il n'y avait pas besoin de faire de jump quand il y avait des conditions. Par exemple, si vous faites if quelque chose else, avant, dans les anciens processeurs, c’étaient des jumps dans tous les sens. Avec le processeur ARM, chaque instruction peut être conditionnelle, c’est-à-dire qu'elle va s'exécuter que si le dernier test a donné un résultat positif ou négatif. Donc en fait on pouvait enchaîner des instructions les unes après les autres, on pouvait écrire des instructions, et finalement il n'y avait que certaines instructions qui allaient s'exécuter, celles qui satisfaisaient le dernier test qui avait été réalisé. Donc on pouvait faire des choses assez subtiles avec peu d'instructions. C'était un peu ça parmi d'autres astuces, qui permettait d'optimiser ces routines de tracé. Donc voilà après je ne sais pas si ça intéresse encore grand monde aujourd'hui, mais avec les GPU, c'est sûr qu'aujourd'hui, tout ça, c'est un peu du passé.

PYH : [...] Adrian me disait que, justement, c'est précieux d'avoir ces exemples d'époque pour voir comment on faisait à ce moment–là pour programmer tel type de choses. Ce sont des sources qui sont précieuses pour nous.

AD : Oui, c'est un petit peu comme un type de documentation tu sais. [...] Et à la fin, avec l'assembleur, c'est aussi... c'est vraiment plus près des mathématiques, tu sais, c'est pas une langue abstraite. [...]

PB : On pense en étant proche de la machine avec une mémoire, des instructions qui s'exécutent. C'est vrai que moi, j'achetais tous les manuels avec tous les détails des instructions pour savoir exactement, chaque instruction, combien de cycles ça prend. Je comptais vraiment les cycles en fait. Je faisais des calculs pour savoir. En fait, quand vous dessinez un triangle, à la fin, ce qui se passe, c'est que vous dessinez ligne par ligne, et à un moment donné, vous devez être en mesure de remplir une ligne qui va de la coordonnée X0 à la coordonnée X1. Ça se réduit à ce problème-là en fait, de la façon la plus rapide possible. Vous devez dessiner un certain nombre de pixels avec le nombre minimal de cycles. [...]. [Actuellement], c'est d'autres problématiques. Maintenant quand on développe un jeu vidéo, [l'objectif est d'] exploiter plutôt les cores, différents cores d'une machine. Ou exploiter le GPU au maximum pour en tirer le maximum de puissance. C'est d'autres problématiques, mais l'état d'esprit est toujours un peu le même. C'est-à-dire essayer d'exploiter au maximum le hardware qu'on a sous la main. Il faut essayer de le connaître le mieux possible, connaître ses spécifications. C'est un peu ça, le travail.

PYH : Ça a dû être très différent, pour le coup parce que j'ai vu que Poizone avait été réécrit en Python.14

PB : Oui, tout à fait.

PYH : Ça a dû être intéressant de recréer le jeu dans un autre niveau de langage.

PB : Je l'ai fait essentiellement pour qu'on puisse y jouer sur PC. Là, ce n'était pas un challenge technique, parce qu'il n'y avait pas de challenge. Le jeu est suffisamment simple pour être codé. C'est vrai qu'entre l'assembleur et Python, c'est le jour et la nuit. C'est les deux opposés, en fait. Python est très haut niveau, et si on veut dessiner un sprite, c'est « DrawSprite ». [Rire] Dans l'assembleur, il faut aller chercher les pixels, il faut clipper sur le bord de l'écran, il faut tout faire seul. Donc c'était plus, c'était aussi pour moi pour apprendre Python, parce que je n'avais pas eu l'occasion d'apprendre Python jusqu'à maintenant. Normalement, je code essentiellement en C++. C'est mon langage. [...] J'ai mis un peu le nez dans la version d'origine pour retrouver des informations.

PYH : Ce qui est génial, c'est qu'entre-temps, c'est devenu votre spécialité de faire des portages. [...]

PB : [...] C'est vrai que quand je l'ai fait, je n'ai pas réalisé. Et puis après, je me suis dit, « tiens, c'est la première fois que je porte mon propre jeu ». Normalement, je porte les jeux des autres. Par contre, je ne le ferai pas avec Aldebaran parce que là c'est trop compliqué. Ça n'aurait pas beaucoup d'intérêt parce que… je trouve que le premier jeu était mieux finalement en termes de gameplay. J'ai plus de plaisir à jouer à Poizone. Qui est un jeu assez simple finalement, on comprend ce qu'il y a à faire et puis il est assez bien réglé je trouve. Alors que Aldebaran, il y a le challenge technique, mais après quand on y joue, ce n'est pas, c'est pas terrible, il faut être honnête.

[...]

PYH : Vous avez mentionné le fait qu'il y avait eu, que vous aviez fait deux jeux commerciaux sur Archimedes. Est-ce que ça veut dire qu'il y en aurait eu des pas commerciaux, des non-sortis, des prototypes non finis ?

PB : Non non. À part les démos qui ont circulé un peu en domaine public, il y avait ça aussi dont je n'ai pas parlé, c’est-à-dire qu'on donnait ces démos à quelqu'un et puis cette personne les donnait à quelqu'un d'autre et puis ça circulait. Et puis ça finissait par être uploadé sur un BBS, comme vous disiez tout à l'heure. Moi, je n'y avais pas accès, mais ça finissait par être là. Et puis du coup tout le monde, tous ceux qui avaient Internet, ils récupéraient ça. Effectivement, sur GitHub, vous voyez même un article de journal avec une photo d'une de mes démos. C’est-à-dire que je ne connais pas ces gens, mais ils ont récupéré cette démo. C'est vrai qu'elle était assez impressionnante pour l'époque. Du coup, ils l'ont mise en première page comme ça. Ça circulait aussi comme ça, de façon un peu virale.

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Footnotes

1. ^ Voir la page référençant les apparitions de Paolo Baerlocher aux génériques de jeux, sur le site Mobygames : « Paolo Baerlocher », Mobygames, consulté le 22 novembre 2025, https://www.mobygames.com/person/221047/paolo-baerlocher

2. ^ Ceci était particulièrement vrai avant la popularisation d'Internet des plateformes de diffusions en ligne tels que Steam. Il existe, de notre jour, une scène suisse du jeu vidéo. Voir par exemple le site de la Swiss Game Developers Association (SGDA), consulté le 22 novembre 2025, https://www.sgda.ch/

3. ^ Poizone est jouable en ligne dans une nouvelle version publiée en 2023 : “Poizone,” Itch.io, consulté le 22 novembre 2025, ​​https://poizone.itch.io/poizone

4. ^ Voir la page officielle de Stupid Zombies sur le site de GameResort, consulté le 22 novembre 2025, https://www.gameresort.com/stupid-zombies

5. ^ La réalisation de ce travail est soutenue par le Fonds national suisse de la recherche scientifique sous le numéro de subvention 209248. Le projet Confoederatio Ludens rassemble une vingtaine de chercheurs répartis sur quatre sites : Berne (HKB, UNIBE), Zurich (ZHdK) et Lausanne (UNIL). Les résultats préliminaires sont publiés sur un blog de recherche : https://chludens.hypotheses.org/.

6. ^ Interview de Daniel Roux publiée précédemment dans RomChip : Pierre-Yves Hurel and Sophie Bemelmans, “From Leisure Electronics to Game Creation: Daniel Roux’s Role in Swiss Game History,” ROMchip 7, no. 1 (July 2025), https://romchip.org/index.php/romchip-journal/article/view/212.

7. ^ L'outil de retranscription développé par Johan Cuda a été publié sur Git Hub : Johan Cuda, “Ultimate Transcriptor 3000,” GitHub, https://github.com/johancuda/Ultimate-Transcriptor-3000

8. ^ « About », Supertext, consulté le 22 Novembre 2025: https://www.supertext.com/en/about-supertext

9. ^ La plupart des démos réalisés par les Arc Angels sont visibles depuis le Git Hub de Paolo Baerlocher : « Arc Angels Megademo », Git Hub de Paolo Baerocher, consulté le 22 novembre 2025, https://github.com/PaoloBaerlocher/Archimedes/blob/main/assets/demos/README.md#arc-angels-megademo

10. ^ Voir Paolo Baerlocher, « Sources and Assets of My Acorn Archimedes Games: POIZONE and ALDEBARAN », GitHub, consulté le 22 novembre 2025, https://github.com/PaoloBaerlocher/Archimedes

11. ^ Baerlocher évoque ici le Prost Grand Prix 1998, publié sur Windows en 1998, créé par Visiware, et publié par Canal+Multimédia.

12. ^ Voir le site du Musée Bolo, musée suisse de l’informatique, de la culture numérique et du jeu vidéo, situé à Lausanne, consulté le 22 novembre 2025, https://www.museebolo.ch.

13. ^ Voir à ce propos la présentation en ligne du projet Pauline : « Préservation des disquettes », La ludothèque française », consulté le 22 novembre 2025, https://www.laludotheque.fr/projets-en-cours/preservation-des-disquettes-pauline/

14. ^ Voir Paolo Baerlochher, « Notes About the Porting Process to PC », Itch.io, 2023, https://poizone.itch.io/poizone/devlog/627199/notes-about-the-porting-process-to-pc